Nous sommes à Monte Carlo, dans la province de Misiones, en Argentine.
Cette province tient son nom des missions jésuites des 17 et 18ème siècles, qui s’étaient organisées au Brésil, au Paraguay et en Argentine sur le territoire des Guaranis. Les indiens Guaranis se plaçaient sous la protection des jésuites pour éviter les esclavagistes. La particularité de ces missions jésuites était que les Guaranis y étaient libres.Source Wikipedia : « Il convient de souligner que dans l’ensemble, et dans le contexte de l’époque, les relations avec les hommes de l’Ancien Monde qu’étaient les Jésuites étaient exceptionnellement bonnes. Hormis la protection physique certaine, les Guaranis bénéficiaient des savoirs européens, tant d’un point de vue scientifique, qu’artistique et relativement démocratique. C’est dans le domaine de l’art qu’ils ont excellé, leurs œuvres étant aujourd’hui exposées dans les musées, et hier envoyées aux ecclésiastiques et aux « grands » de l’Ancien monde, comme exemplaires et dignes de rivaliser avec l’art européen. … A leur apogée les missions auraient couvert une superficie comparable à celle de la France.«Il reste quelques ruines de ces missions :
Un accueil chaleureux dans la famille
Nous sommes accueillis (merveilleusement et chaleureusement) par un oncle et une tante de Margot. C’est la première fois que Margot les rencontre et ils sont très heureux de cette visite de la famille. Leur histoire est assez extraordinaire pour nos oreilles d’habitants de « l’ancien monde » : l’Europe moderne du 21ème siècle.Les premiers immigrants allemands
Montecarlo a été fondé en 1920 par des Allemands immigrés au Brésil dans l’état de Santa Catarina, qui a encore aujourd’hui la plus importante population d’origine allemande du Brésil (plus de 40 {b8268332b6c6f513f9f5d72529a95746012c1f0c67fa10b71b49b92858ff3a12} du total de l’État). La ville de Monte Carlo a été créée par Carlos Culmey (un allemand) comme les villes de Porto Rico, Jardin de America, Eldorado. En tout, quatre villes dans la province de Misiones (Argentine) et 6 au Brésil. La tante de Margot (Marianne) est né en Argentine en 1928 près de Monte Carlo. Son père était arrivé en 1923, il faisait partie des premiers immigrants allemands dans cette région encore très peu « colonisée ». Il arrive en bateau à Buenos Aires, il remonte le Parana en petit bateau, débarque à hauteur de Monte Carlo, avec d’autres colons. On lui indique un endroit où s’installer dans la forêt. C’est encore une forêt vierge (Urwald). Il doit aussitôt se débrouiller pour survivre : construire une case avec un sol de pierre, des montants en bambou et un toit en palmes. Trouver de quoi se nourrir pour ne pas mourir de faim. Défricher pour planter. Creuser un puits. … C’est une réelle lutte pour la survie ! Ensuite, on possède ce qu’on a pu défricher. A leur arrivée dans la province de Misiones, les immigrants sont répartis par catégories : les catholiques, les évangélistes (protestants) et les riches. Les catholiques sont installés à Porto Rico, les évangélistes à Monte Carlo, … et les « riches » à Eldorado. La guerre en Europe : En 1939, Marianne a 11 ans. Elle rentre en bateau en Allemagne pour un enterrement familial, avec sa mère et ses frères et sœurs. La guerre est déclarée et les coince en Souabe. La vie est très dure, et les enfants sont placés dans des fermes pour manger. Marianne travaille chez un agriculteur : elle traie les vaches avant d’aller à l’école. Les années passent et elle rencontre le fils d’un forgeron de Stetten Am Kalten Markt : Alfons. Il a deux ans de plus qu’elle. Il connait le travail de la forge, mais n’héritera pas de la forge de son père : il n’est qu’un fils cadet.Retour en Argentine
Quand la guerre se termine, Alfons décide de suivre Marianne qui veut rentrer en Argentine : l’avenir semble plus beau et prometteur dans le nouveau monde. Il est catholique, mais s’installera quand même à Monte Carlo. Ils arrivent en bateau et remontent jusqu’à Posadas en train, puis en bus jusqu’à Monte Carlo. Il faut souvent que les passagers poussent le bus sur la route en terre rouge. La situation a changé à Monte Carlo : M. Laharrague, un français, a acheté toutes les terres et les revend par lots de 20ha. Alfons travaille pour les autres. Ses compétences sont utiles dans les exploitations agricoles. Il apprend le travail de la terre. Quelques années plus tard, avec l’argent économisé et l’aide de la famille de Marianne, ils achètent un premier lot de 20 hectares. Il faut défricher de quoi planter le plus vite possible, construire une maison en rondins avec le bois coupé pour défricher, et planter. Ils plantent d’abord ce qui pousse vite du maïs, du manioc, et élèvent une poule, puis des poules. Le plus rapidement possible aussi, ils creusent un puits et ont la chance de trouver l’eau à 13 mètres de profondeur seulement. La maison s’agrandit un peu, ils reçoivent une vache et un veau en cadeau… La vie s’améliore à force de travail, et grâce à l’entraide très présente de la communauté allemande de Monte Carlo : à l’époque, toute la population parle allemand, seuls les policiers du poste de Monte Carlo sont hispanophones. Aujourd’hui encore, Alfons parle plus facilement allemand qu’espagnol. Dès 1930, les immigrants de Monte Carlo avaient créé une coopérative agricole encore prospère aujourd’hui. Dans la province, la culture principale de l’époque était le « mate », un arbuste dont les feuilles servent à préparer une infusion qui est presque un symbole de l’Argentine. Tout le monde en boit, chaud, froid, à la maison, en voiture, le matin, le soir… (l’article suivant parlera du « mate »). Ce mate se revend en 1930 très cher à Buenos Aires, mais les acheteurs le paient à bas prix aux producteurs de Monte Carlo. Avec cette coopérative, ils prennent en main collectivement la gestion de la production, du transport et des prix de vente. Dans les années 50/60, la ferme d’Alfons et Marianne est assez prospère. Un troupeau de vaches apporte du lait et de la viande. Des chevaux et des bœufs apportent la force de travail. Avec ces bœufs, Alfons traîne aussi des fûts de 10 mètres de bois noble jusqu’au fleuve Parana ; le bois est vendu et descendra sur le fleuve jusqu’à Buenos Aires. Dans les années 60, les enfants font à cheval les 10km qui les séparent de l’école. La ferme produit en polyculture des mandarines, du mate, du manioc, des troncs d’Eucalyptus ou de Kiri (paulownia), un bois de faible densité, proche de celle du liège.La famille aujourd’hui
Aujourd’hui, Alfons et Marianne ont transmis l’exploitation de la ferme à leurs enfants qui se sont reconvertis dans le bois. C’est un de leurs fils, Rolando, qui nous a emmené aux chutes d’Iguazu. Alfons et Marianne vivent correctement sans être vraiment riches, et racontent leur histoire avec des centaines de petits détails et une joie de vivre qui nous ont émus. Marianne conduit une magnifique « Renault 18 » de 40 ans d’âge qui tourne comme une horloge. Alfons boit et partage le mate chaque matin vers 10 heures. Nous sommes repartis de Monte Carlo avec la certitude d’avoir aussi une famille en Argentine. Merci à Alfons et Marianne.
Étiqueté Argentina, brasil, brésil, esclaves, Eucalyptus, guaranis, guerre 39/45, jésuites, kiri, manioc, mate, Misiones, Monte Carlo, parana, Souabe
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